Interview de Filipe La Féria

Publié le par Jean-Charles Rosa

Interview de Filipe La Féria par Carla B. RIBEIRO / Journal PUBLICO.PT
 
"Amália était une femme profondément marquée par la mort" Susana Almeida Ribeiro
 
Filipe La Feria, metteur en scène du spectacle « Amália »,
 
 
Publico.pt :En un mot comment définiriez-vous Amália ?
 
Filipe La Feria : Avant tout, l’image qui passe est celle d’une personne très triste. Très entourée par la solitude. C’était une femme qui avait les salles de spectacles à ses pieds à travers le monde, mais qui avait des moment de profonde solitude. Je me rappelle qu’une fois, elle est venue voir ici un spectacle au « Politeama », complètement seule, et m’a demandé de l’accompagnée jusqu’au taxi, car ses chaussures la serraient. J’ai trouvé extraordinaire que cette femme, qui a eu le monde à ses pieds, était là si seule et devoir venir demander à un presque inconnu de l’accompagner jusqu’au taxi.
Elle a toujours été une femme, et c’est cette idée que j’ai voulu donner dans la pièce, qui était et qui n’était pas. Elle a connu sa mère à 14 ans. C’est toujours une étrangère. Je pense qu’elle n’appartenait à rien et a appartenu à tout. Et cela lui a sûrement donner ce sentiment de tristesse qu’elle transmet, non seulement par la voix et par sa manière en général de chanter, amis aussi dans ses poèmes. Elle transmet mélancolie presque dans le style de Teixeira de Pascoaes.
Effectivement Amália est un être unique. Ce spectacle est la preuve de cela. Comment cela est possible qu’un an après la première la salle est toujours pleine ? Bien sur le mérite se doit également au spectacle et à tous ceux qui le font, mais c’est aussi grâce à cette fascination, au mythe de Amália. Combien d’étrangers passent ici dans cette rue et achètent des billets uniquement à cause de ce nom, un nom magique.
 
L’idée de la mort est toujours très présente dans la vie d’Amália…
 
Oui, elle a aussi été la femme très marquée par la mort. Amália a voulu se suicider à quatre reprises. Le spectacle commence avec le voyage qu’Amália a fait, en 1984, à New York, pour se tuer et elle a réussi à se sauver avec les films de Fred Astair. Le message commence là : «  A partir du moment où la mort existe, toute la vie est absurde. » Il y a toujours tout au long du spectacle, la visite de la mort. Depuis l’enfant, qui tente de se suicider avec des têtes d’allumettes, jusqu’à son allée pour New York, il y a toujours cette poursuite de la mort. Parce qu’Amália avait cette notion de fragilité du monde et de la vie, du peu que cela représente devant le si grand absurde de la mort.
 
Comment avez-vous connu Amália ?
 
Je l’ai connue par tradition. Parce que j’ai beaucoup d’année de théâtre et je la connaissais des théâtre, de l’entendre chanter. La première fois que j’ai assisté à un de ses spectacles, c’était à Monte Gordo. Amália avait rempli le casino et elle est aller chanter pour les pêcheurs. C’est cette scène que je revis un peu, mais comme la pièce a débuter à Madeire – grâce à l’enthousiasme du secrétaire d’Etat à la Culture de Madeire, qui a été le moteur pour concrétiser ce musical – j’ai situer cette scène dans l’île. Mais en réalité, moi qui l’ai vécue c’était à Monte Gordo. Amália a fait la première partie de son spectacle au casino et après j’ai entendu, comme j’ai transcrit dans la pièce, le peuple appelant « Amália, Amália, Amália ». Et sans microphone, uniquement avec deux guitaristes, elle est aller chanter pour les pêcheurs ( cela se passe fin des années 40, j’avais 6 ans environ). Je me rappelle que quand j’ai écrit cette scène j’ai été bouleversé. C’est une pièce que j’ai écrite et qui m’a bouleversée à plusieurs reprises.
 
Comment est survenue cette idée du musical ?
 
C’était une suggestion d’Amália. Elle avait vu « Maria Callas » et à la fin m’a dit «  Mais pourquoi vous ne feriez pas une pièce avec ma vie ? » j4ai dit : 3 Mais je vous connais peu ». C’est quand elle m’a dit « Lisez la biographie de Vítor Pavão dos Santos et avec votre fantaisie vous réussirez à le faire ». Je m’attendais à ce qu’elle vienne à la première à Madeire mais, malheureusement, elle est morte avant. Mais à Madeire nous avons toujours réservé un siège avec des fleurs, c’était le siège d’Amália.
 
Comment avez vous sélectionné les scènes et les Fados que vous souhaitiez voir figurer dans cette histoire de vie ? Vous vous êtes basé uniquement sur la biographie de Vítor Pavão dos Santos ?
 
Je n’ai fais aucune sélection en particulier. J’ai lu et ensuite j‘ai écrit beaucoup de choses inventée par moi. Je ne me suis pas assujetti à la vision de Vítor Pavão dos Santos. Je l’ai croisée avec mon interprétation d’Amália. Vítor Pavão fait une étude biographique, avec beaucoup de rigueur, de ce qu’a pu dire Amália. Comme c’est un personnage qui a vécu entre nous, j’ai tenté ne pas inventer des choses qui ne fussent pas vraies, mais j’ai théâtraliser les situations au maximum.
 
Et par rapport aux influences politiques créées autour d’Amália ? On dit qu’elle collaborait avec le régime…
 
Il est très difficile de répondre. Amália est née avec la République, vie quand arrive le Nouvel Etat et dépasse le 25 avril avec son génie. C’était une femme très intelligente. Mais, le Portugal vivait alors très isolé. Je me rappelle être allé à Paris autour de mes 18 ans et pour moi cela a été une révélation parce que nous vivions très cloîtrés, dans un pays très petit. C’était naturel que les gens aient une préparation politique. Je pense qu’Amália n’avait pas cette préparation politique. Elle a été très maltraitée après le 25 avril. Le Portugal est un pays où il y a une très grande médiocrité, très Queirosienne, très petite. Et tout sert pour faire chuter les personne de valeur. Beaucoup de gens ont profité du fait qu’Amália était un cas unique pour la persécuter, mais il a suffit qu’elle continue sa carrière internationale pour dépasser cela et après toute la démocratie lui a rendu hommage. Même Mario Soares l’a décorée ici en plein Coliseu dos Recreios.
 
Comment voyez-vous cet hommage à Amália avec le transfert de son corps au Panthéon ?
 
C’est un bel hommage, c’est la première fois qu’un femme entre au Panthéon. Beaucoup de femmes mériteraient d’être également au Panthéon. Je pense notamment à Florabela Espanca. Mais j’aurais préféré qu’elle repose au monastère des Jéronimos, elle aurait été ainsi en compagnie de Camoes, qu’elle a popularisé. Comme a dit Alexandre o’Neill, elle a amené au peuple les paroles des grands poètes. Ce que j’aime le moins dans le transfert du corps d’Amália au Panthéon c’est que c’est un endroit où les gens ne peuvent pas aller mettre des fleurs et prier, comme ils le font actuellement au cimetière des Plaisirs. Le Panthéon est un endroit trop institutionnalisé à mon goût, et je pense, pour celui d’Amália.
 
Après Maria Callas et Amália, à quelles autres femmes avez-vous envie de rendre hommage avec votre travail ?
 
J’aimerais beaucoup faire une pièce sur Laura Alves. Je ne sais pas si j’arriverai à le faire, mais j’aimerais lui rendre hommage. Elle a été l’actrice qui m’a le plus impressionné sur scène. C’est une figure par son histoire. Qui croise de manière indélébile le Théâtre Monumental, elle mériterait cet hommage. Son histoire a beaucoup de condiments dramatiques. C’est une preuve que les portugais ont parfois une manière cruelle et indifférente de traiter ses artistes.
 
Quels sont les ingrédients pour amener le public dans les salles de spectacle ?
 
Je pense que le secret est de parler de notre histoire. Mon secret, si l’on peut dire, c’est de traiter des thèmes portugais. Le public, au délà de voir l’histoire d’Amália Rodrigues dans ce spectacle, s’identifie aussi avec sa propre histoire et avec celle de leurs parents et grands-parents. Les gens se rappellent des Fados et de facto de notre histoire. Je pense que le public n’aime pas le théâtre et n’aime pas beaucoup son histoire non plus.
 
Combien de personnes ont déjà assisté à ce spectacle ?
 
Nous arrivons à 400 000. Nous avons dépassé les 370 000. Le spectacle devrait continuer au Politeama jusqu’en septembre et ensuite aller à Porto, puis Paris. Nous commencerons en Mars au Palais des congrés, qui est une salle noble de la capitale française, et ensuite nous partons en tournée à travers l’Europe, puis au Brésil. Nous avons quotidiennement des invitations pour représenter ce spectacle. Mais vous allez voir un spectacle très difficile à transporter dû aux artifices scéniques.
 
Comment va notre théâtre ?
 
Il va mal. Ce gouvernement a été très malchanceux dans sa politique gouvernative. Il a suivi de faux critères, trop élitistes, trop partisans. La base de toute politique culturelle est fermée. Parce qu’on appartient à tel ou tel parti on doit avoir une subvention… Cela ne peux être comme ça. On doit donner des subventions aux personnes pour leurs compétences et leur talent. Mais ce n’est pas un problème de parti. C’est une question de mentalité, indépendamment de la couleur politique du gouvernement. Il ne s’agit pas de question idéologiques. Il s’agit de lobbies. De petits lobbies les uns contre les autres. Nous devons arrêter avec cette mentalité que les portugais ont encore. Notre gouvernement n’est pas intéressé par le Portugal. En regardant le premier ministre on s’en apperçoit (rires). Les politiques vivent très loin de la culture. L’Etat a une politique très provinciale et faite comme celle des commères. Ce sont les instituts et les bureaucrates qui décident les choses. Ce sont toujours les mêmes qui décident, viciés dans un système de petites vengeances. Un grand succès au Portugal on le paye toujours très cher. J’ai déjà payer mes spectacles avec beaucoup de sang, de sueur et de larmes.
 
 
Vous avez pouratant le privilège de compter avec les « subventions » du public, déjà que vous n’avez pas celles du gouvernement…
 
Oui, heureusement que j’ai de grands subsides du public. Dès le début, avec «  Passa por mim no Rossio », qui a été une bombe, comme cela se produit maintenant avec « Amália », qui a été une bombe aussi. Le Théâtre National D. Maria II, par exemple, nécessiterait aussi une bombe dans ce genre, mais la Compagnie a été dissoute donc … Quelque chose est pourri dans le royaume du Danemark, comme disait Hamlet. Dans notre cas, quelque chose est pourri dans le royaume du Portugal.

Publié dans Presse

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H
<br /> <br /> Merci pour tout cela...<br /> <br /> <br />  Votre Hécate<br /> <br /> <br /> <br />
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